Innover dans le transfert d’argent : comment Wizall bouleverse le secteur en Afrique

Ken Kakena, cofondateur de Wizall

En avril 2015, la Banque Mondiale a estimé le montant du transfert d’argent vers l’Afrique a plus de 60 milliards de dollars. Pourtant, le coût moyen du transfert y est l’un des plus élevés au monde. Problématique lorsqu’on sait que la majorité des fonds est destinée à couvrir les dépenses d’éducation, de santé et de consommation courante.

Jusqu’à présent, le secteur du transfert d’argent était dominé par les géants américains Western Union et MoneyGram. Mais l’innovation digitale permet aujourd’hui aux startups comme Wizall de redistribuer les cartes. Rencontre avec Ken Kakena, cofondateur.

Wizall est une plateforme qui veut faciliter les échanges entre les africains, sur le continent et en dehors. Pour cela, la startup crée il y a un peu plus d’un an par Ken Kakena et Sébastien Vetter, développe des services de transfert et de paiement électroniques qui facilitent le quotidien.

Nous voulons intégrer la dimension sociale du transfert d’argent.

1. Ken, vous êtes cofondateur de Wizall. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Je suis un jeune entrepreneur de 27 ans issu de la diaspora congolaise. J’ai grandi en France, en région parisienne. Durant mes années d’études en école de commerce, je me suis en quelque sorte “reconnecté” avec mes racines. J’ai participé à des Think Tanks et monté des associations pour la promotion de l’entrepreneuriat et de la culture africaine.

J’ai par exemple fait partie des coordinateurs de la 8ème édition du Festival International de la Mode en Afrique, créé par Alphadi (le FIMA est un festival de mode panafricain mondialement connu né en 1998, ndlr).

Après mon diplôme, j’ai effectué un VIE à Abidjan, au sein d’un cabinet de conseil spécialisé dans la transformation digitale. Rapidement, j’ai eu l’envie de m’émanciper et de lancer ma propre aventure. J’étais persuadé qu’il y avait quelque chose à faire avec les réseaux d’entraide familiale. Une solution qui toucherait les africains, d’Afrique et de la diaspora.

2. Pourquoi avoir créé Wizall ? Comment le projet est-il né ?

L’idée de Wizall a germé de mon vécu de diasporan. Le lien que j’entretiens avec ma famille a toujours été très important. Il est même vital lorsqu’on vit à l’étranger. Or, les services disponibles pour entretenir ce lien étaient inadaptés ou trop chers.

Les frais de transfert d’argent sont en effet exorbitants et le parcours client pénible. En témoigne les files de queue interminables dans certaines villes. Il y avait des pionniers sur le secteur qui développaient déjà des modes de transferts alternatifs, mais ces solutions pouvaient être améliorées.

Derrière chaque transfert d'argent, il y a de l’entraide familiale, des projets, des commerces, des investissements.

Notre constat de départ était que le transfert d’argent ne suffisait plus. Il fallait comprendre les besoins finaux des utilisateurs et y apporter des réponses adaptées. Derrière chaque transfert, il y a de l’entraide familiale, des projets, des commerces, des investissements.

C’est ce qui nous a amené à créer une offre unique. Une plateforme donnant accès à un panel de services de transferts et de paiements dédiés à l’Afrique, basés sur l’utilisation de “Mobile Money”.

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Internet, Smartphones, faible taux de bancarisation : les raisons du succès du Mobile Money en Afrique.

3. Comment Wizall fonctionne-t-il ?

Nous proposons d’abord une offre de transfert donnant la possibilité d’envoyer de l’argent et des bons d’achats au Sénégal. Pour le transfert d’argent, le parcours est classique.

Là où nous nous distinguons réellement, c’est sur le transfert de bons d’achat. Notre service est le premier service de transfert gratuit en Afrique de l’Ouest. Je peux sélectionner le type de bon que je veux envoyer (alimentaire, carburant, santé…) ainsi que la valeur.

Le bénéficiaire reçoit alors un code de retrait qu’il peut utiliser dans un réseau de partenaires, avec la liberté de sélectionner les produits qu’il veut. Il n’y a aucun frais d’envoi. C’est un mode de transfert entièrement gratuit, pour l’envoyeur et pour le bénéficiaire. L’envoyeur réalise ainsi des économies, mais il a aussi l’assurance de la bonne utilisation des fonds

Au service de transfert s’ajoute nos offres de paiements, qui permettent de payer rapidement ses factures d’eau, d’électricité, et même de recharger sa carte Rapido (autoroute à péage) et du crédit téléphonique sur tous les réseaux (Orange, Tigo, Expresso).

4. Un peu comme du « cash to goods«  (transférer de la valeur marchande sous forme de bons d’achats) ?

Ce type de transfert est en effet assimilable au cash-to-goods, avec une vision différente. Nous voulons laisser le choix des produits au bénéficiaire. En Afrique, faire ses courses participe aussi à entretenir le lien social au niveau local, entre les commerçants et les clients.

Je veux contribuer aux dépenses alimentaires de mes proches. Mais je ne veux pas leur imposer des produits choisis sur internet, qui leur seront livrés dans leur salon ! Depuis des années, mes tantes vont chez leur vendeur de légumes ou leur boucher. Le “cash to goods” ne doit pas détruire ce lien.

Pour le commerçant, c’est également un moyen d’élargir sa clientèle et donc, d’augmenter son business. Notre différence avec les autres solutions de “cash to goods”, c’est que le commerçant est payé instantanément en mobile money, au moment de l’encaissement du bon.

5. De nombreuses startup font leur apparition sur le marché (Afrimarket, WorldRemit, Mergims…). Quelles tendances envisagez-vous pour les prochaines années ?

La tendance marché la plus immédiate, c’est la digitalisation de l’argent et le développement des moyens de paiement sur mobile. La région sahélienne résiste encore à cette idée, qui a pourtant traversé le continent, depuis l’Afrique de l’Est et le Kenya.

Nos pays sahéliens sont des pays de commerce, souvent informel. On aime que l’argent soit palpable et facilement transférable. Nous devrons donc trouver des solutions pour intégrer ces particularités régionales, créer de la confiance et réussir à aller plus loin que le “cash to cash”.

Nous irons vers une simplification des offres : des parcours clients moins complexes, une tarification plus claire et des services interopérables.

Pour créer cette confiance, je pense que nous irons vers une simplification des offres sur le marché. Des parcours clients moins complexes, une tarification plus claire et des services interopérables. Ce changement pourrait venir d’en bas, sous la pression des consommateurs. Mais il pourrait aussi venir d’en haut, sous la pression du régulateur – la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest – ou des opérateurs challengers pour tenter de gagner des parts de marché sur les opérateurs leaders.

6. Et le mobile va jouer un rôle toujours plus important…

Tout à fait. Le téléphone va s’ancrer de plus en plus comme notre principal canal d’accès à la consommation et à l’information en Afrique. Les Smartphones low cost, la baisse du coût de la data et le développement du paiement sur mobile, comme Wizall Money en sont les causes directes.

Je pense que tous les services seront concernés. J’ai été frappé de découvrir une activité de “streaming” de contenus religieux, distribués via des abonnements téléphoniques ! Leur solution a eu un impact extraordinaire chez les populations âgées, en ville comme en campagne.

Les organisations qui auront la meilleure relation avec les gens, via leur téléphone, auront le plus d’impact. En ce sens, les réseaux sociaux n’ont pas fini de nous étonner. Ils ont de grandes chances de devenir nos “grands marchés” de demain.

D’autant plus que Facebook, qui est déjà le n°1 du e-commerce en Afrique, développe sa propre infrastructure internet et investit sur des finTech. Alors pourquoi pas imaginer, dans dix ans, une alliance entre Wizall et le futur Facebook africain !

Ken Kakena, cofondateur de Wizall
Ken Kakena (au centre) avec l'équipe de SÉKOU, dans les locaux de Wizall à Dakar

7. Quels sont les projets en cours de Wizall ?

La première grande nouvelle, c’est le lancement prochain de notre porte monnaie électronique. En partenariat avec Ecobank, ce wallet est une véritable alternative au compte bancaire. Notre application permettra de sécuriser son argent et d’accéder à l’ensemble de nos services, tout en faisant des économies. Elle est d’ailleurs téléchargeable depuis Google Play & Apple Store.

Toutes les transactions seront en effet sans frais. Seuls les dépôts sur les comptes seront payants. Autrement dit, on ne paye qu’une fois un montant fixe. C’est simple, clair et adapté aux personnes recevant des fonds de leur famille, de leurs partenaires ou de leurs entreprises. Ce système est totalement innovant sur le marché.

C’est une grande fierté quand des entreprises comme Air France, Sunu Assurances ou Total nous font confiance.

Par ailleurs, en moins d’un an, près d’une centaine d’entreprises et d’ONG nous a sollicité pour accéder à notre offre « B2B ». Ces services dédiées aux entreprises permettent par exemple le paiement des salaires pour les non bancarisés, le paiement instantané de per diem, de bons carburant, de bons « cadeaux » pour des fêtes calendaires, des programmes de fidélité et des évènements.

Les entreprises réalisent leurs paiements en ligne, depuis une interface web unique. Elles disposent d’un module de suivi de toutes les statistiques de retraits. Tous les dépôts et transferts sont couverts par notre partenaire Ecobank. C’est une grande fierté quand des entreprises comme Air France, Sunu Assurances, Total et des majors de la construction nous font confiance.

Le wallet money de Wizall
Le Wallet de Wizall se veut être une véritable alternative au compte bancaire.

8. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’entrepreneuriat en Afrique ?

Entreprendre est « à la mode ». Mais il ne faut pas oublier que l’entrepreneuriat, c’est tout un écosystème. Ce n’est pas que la somme des créateurs d’entreprises. Nous devons donc continuer notre travail de sensibilisation de tout l’écosystème et développer nos synergies.

Je pense que les décideurs en Afrique francophone ne prennent pas encore suffisamment de risques pour créer les futures Licornes africaines (start-up valorisées à plus d’1 milliard de dollars). J’aimerais qu’elles soient congolaises, sénégalaises, ivoiriennes…

Les entrepreneurs ont besoin de mentoring, de partage, de mise en avant et pas seulement de financements.

Parmi nos leaders, trop peu regardent derrière eux et s’intéressent aux nouvelles initiatives. Or les entrepreneurs ont justement besoin de mentoring, de partage, de mise en avant et pas seulement de financements.

9. Quels conseils donneriez-vous avant d’entreprendre sur le continent ?

Se jeter. Testez rapidement votre idée, même à petite échelle, avec vos proches. Le digital permet aujourd’hui d’avancer beaucoup plus vite dans son projet. Pas besoin d’être expert dans tous les domaines ! A partir de là va démarrer la phase la plus intéressante : la réflexion, basée sur les retours des premiers utilisateurs. Même les meilleurs font toujours une version
bêta !

Deuxième conseil : prenez soin de votre communauté. Il faut se construire un réseau qui croit en ce que vous faites et avec qui vous pourrez tester votre solution. Ils vous conseillerons sans vous juger.

Enfin, mon dernier conseil serait de créer les conditions propices à un dévouement plein et entier. Il faut être prêt à ce que votre projet prenne une place énorme dans votre vie. Ne pas l’anticiper peut conduire à des drames personnels. Il est donc essentiel de se construire un cadre sain, en étant accompagné par son entourage.

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morgane@sekou.org

Après plusieurs années dans les RH, j'ai développé un sens relationnel aigu et une réactivité à toute épreuve. Curieuse invétérée qui s’émerveille d’un rien, j'ai pris le virage du digital à travers la création de contenus web et le social media. Mes domaines de prédilection : l’art, les nouvelles technologies, l’environnement et la photo.