Dak’Art : Art et nouvelles technologies

Cet été, SÉKOU est parti à la découverte du Dak’Art, la biennale de l’art contemporain africain. L’événement réunit tous les deux ans, depuis 1989, des artistes des quatre coins du monde et recueille aujourd’hui le soutien de prestigieux acteurs du milieu. Et ce qui nous a frappé, c’est l’utilisation fréquente des nouvelles technologies et du digital dans les créations artistiques. Pour mieux comprendre ces changements, nous sommes partis à la rencontre des artistes exposant à Dakar. Ils sont sénégalais, béninois ou italiens et nous avons recueilli leur avis sur la façon dont les nouvelles technologies bousculent l’art.

Art et storytelling

Le storytelling, c’est une notion dont on entend de plus en plus parler et pourtant, elle n’est pas nouvelle. Pour résumer, ce terme désigne notre capacité à créer des histoires. Notre cerveau utilise en effet cette technique constamment, pour traiter la masse d’informations qu’il reçoit en permanence. C’est un domaine passionnant ! Très bien, et le rapport avec l’art ? me direz-vous.

Et bien, si un créateur décide d’exposer son œuvre au regard du public, c’est qu’il veut lui transmettre quelque chose. Selon notre sensibilité artistique – certains parleront même d’intelligence émotionnelle – nous allons nous approprier l’œuvre, lui donner un sens et parfois même, lui faire nous raconter une histoire. Voilà pourquoi l’art est une forme de storytelling.

De plus, être touché(e) par une œuvre ne signifie pas être capable d’en évaluer le coût ou le temps de fabrication. C’est simplement ressentir une émotion et essayer de la comprendre, en entamant un dialogue avec l’artiste à travers son œuvre. Voilà pourquoi l’art, d’une certaine manière, est aussi une forme d’interactivité.

La biennale du Dak’Art elle aussi, a souhaité nous raconter une histoire. Cette année, elle s’affiche sous le thème du “réenchantement”. Dans un monde en proie au défaitisme, elle invite les artistes à “inventer de nouvelles pistes pour réenchanter le monde”, pour être le moteur d’un nouvel élan et d’une nouvelle vague de créativité. Le commissaire d’exposition camerounais Simon Njami en est convaincu : l’art participe à lutter contre ce qu’il appelle « l’afropessimisme« .

L’art à l’heure du web 2.0

Les nouvelles technologies ont modifié pour l’artiste sa manière de créer et de diffuser sa production. L’avènement de plateformes spécialisées dans le partage d’images, comme Instagram, Pinterest ou Snapchat, amènent les créateurs à repenser leur mode de communication.

Mais ils leur permettent aussi de contourner les sentiers de diffusion classiques, en mettant directement leur contenu à disposition du public. A l’heure du web social et participatif, la communication entre le créateur et son public se voit complètement remodelée, pour devenir un réel dialogue, parfois même instantané, au-delà des barrières physiques.

Nous avons échangé avec Valentina Gioia Levy autour de cette réflexion. Conservatrice et critique d’art basée à Rome, elle enseigne l’histoire de l’art contemporain et du design. Comme cinq autres commissaires, le Dak’Art l’a invitée pour proposer une exposition reflétant la thématique de la biennale. Et des expositions, elle en a parrainé plus d’une : de Paris au Caire, de l’Inde aux États-Unis, en passant par la République Tchèque…

Les nouvelles technologies ont impacté énormément le milieu de l’art. Internet n’est pas un médium comme un autre. C’est quelque chose qui change complètement nos habitudes et nos relations aux autres.

Valentina a répondu à l’appel de la biennale en axant son exposition sur la relation entre le matériel et l’immatériel, le physique et le virtuel. Elle a voulu montrer comment les nouvelles technologies ont modifié cette relation et, par la même occasion, notre conception de l’espace. Elle interroge sur la place du corps dans une société marquée par la dématérialisation et les échanges virtualisés.

photo de Valentina G. Levy, commissaire italienne invitée pour le Dak'Art

Un art hybride

Certains artistes ont déjà pris le parti des nouvelles technologies et défendent une vision de l’art en accord avec leur temps. Ils ne veulent plus simplement exposer leur création, ils veulent proposer des expériences enrichies et créer avec le public une relation privilégiée et durable. Ce sont des technophiles, ils aiment l’iTech et le revendiquent.

Emo de Medeiros est l’un d’eux. Au Dak’Art, il expose ses Vodunauts, des sortes de casques de moto futuristes recouverts de coquillages, renfermant un smartphone qui diffuse de courtes vidéos. Emo est une pile électrique qui vit entre Paris et Cotonou et qui ne se laisse jamais prendre en photo sans une monumentale paire de lunettes noire. Résolument ancré dans les mutations technologiques et le transmedia, ses œuvres bousculent les schémas classiques de narration.

Interview d'Emo de Medeiros, adepte des nouvelles technologies

Il fait de la « non linéarité » un maître mot. Pour lui, l’expression illustre bien nos sociétés contemporaines. L’homme moderne est multitâche, il consulte l’actualité sur sa tablette, dialogue avec sa famille sur Skype et répond à son boss avec son Smartphone. Tout ça en même temps.

L'important pour moi, c'est de faire de l'art du 21e siècle.

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si, parallèlement à la biennale de l’art contemporain, se déroule le festival Afropixel, dédié à l’art numérique. En flânant le soir dans les quartiers dakarois de l’hôtel de ville ou de la gare, vous pouviez voir des monuments prendre vie lors des performances de video mapping. Cette technologie multimédia consiste à projeter des vidéos à grande échelle sur des structures en relief, en jouant avec les volumes, pour créer des illusions d’optiques.

L’alliance de l’art et des nouvelles technologies n’en est qu’à ses débuts. Des organismes comme le VRLAB fleurissent un peu partout. Leur objectif est de faire le lien entre ces deux milieux, pour que l’art de soit pas lésé dans l’exploitation de technologies, telles que la réalité virtuelle. Alors que le monde industriel a plus que jamais montré son intérêt pour la VR – avec la commercialisation de produits comme l’Oculus Rift ou le casque HTC Vive – certains artistes se l’approprient déjà et explorent la création virtuelle pour proposer des expériences immersives. L’œuvre n’est plus seulement un objet physique, elle devient une émotion. Un moment.

Cet art est « contemporain » parce qu’il exploite son environnement, explore les technologies qui le composent et repousse les limites connues. Si les technologies émergentes sont déjà utilisées dans l’industrie et le marketing, les artistes sont là pour démontrer son énorme potentiel créatif et modeler l’art de demain.

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About the Author /

morgane@sekou.org

Après plusieurs années dans les RH, j'ai développé un sens relationnel aigu et une réactivité à toute épreuve. Curieuse invétérée qui s’émerveille d’un rien, j'ai pris le virage du digital à travers la création de contenus web et le social media. Mes domaines de prédilection : l’art, les nouvelles technologies, l’environnement et la photo.